Le Cap frappé par une crise du logement, Airbnb aimante le ressentiment
Les rires des enfants résonnent contre des murs bordés de dizaines de matelas dans la grande pièce sombre d'un immeuble squatté au cœur battant et touristique du Cap, en Afrique du Sud.
Une fillette se fait tresser les cheveux sur un tabouret. Autour d'elle, des sacs en plastique remplis d'affaires en tout genre, celles des personnes ayant investi ce bâtiment désaffecté faute d'avoir trouvé un logement abordable.
"Ma paie n'est pas suffisante pour les loyers exorbitants du Cap", explique à l'AFP l'une des résidentes, Fundisa Loza, 46 ans.
Mère de deux filles de 12 et 18 ans, elle a emménagé ici avec elles pour se rapprocher de son travail de nuit dans un centre d'appels du quartier des affaires, à environ 20 minutes à pied.
Dans cette zone, les annonces en ligne de locations commencent à environ 10.000 rands (500 euros) par mois pour un studio. Un montant hors de portée du salaire mensuel de 8.400 rands de Fundisa Loza.
Quant aux annonces sur la plateforme Airbnb dans un quartier comme celui du musée du District Six, prisé des touristes et à 10 minutes de marche, elles avoisinent en moyenne 1.500 rands la nuit (75 euros). "C'est démesuré", commente Fundisa Loza.
Nichée au pied de montagnes enchanteresses se jetant dans l'océan Atlantique, la ville du Cap s'est imposée comme une destination touristique de premier plan. En témoigne sa première place aux classements 2025 des meilleures villes du monde du Telegraph et de Time Out.
Des militants affirment que la course à l'hébergement touristique repousse les habitants hors des quartiers recherchés, notamment ceux proches du District Six, d'où les habitants non blancs avaient été expulsés du temps de l'apartheid.
- Boom d'Airbnb -
La famille Loza vit dans l'un des trois immeubles occupés de cette même rue. Abritant chacun jusqu'à 50 personnes, ils font tous l'objet d'avis d'éviction judiciaire.
Fundisa Loza dit qu'elle est inscrite "depuis des années" sur une liste d'attente pour un logement subventionné par l'État, qui compte environ 400.000 noms selon un responsable municipal.
"Pourquoi la ville devrait-elle être réservée à certaines personnes?", lance-t-elle.
Le Cap compte plus de logements en location de courte durée que des villes plus grandes comme Barcelone (Espagne) et Berlin (Allemagne), qui accueillent jusqu'à cinq fois plus de visiteurs par an, indique Jens Horber, de l'organisation de défense du droit au logement Ndifuna Ukwazi.
Dans les quartiers du centre-ville et du littoral atlantique, les annonces Airbnb ont augmenté de 190% depuis 2022, selon lui.
Elles visent touristes et "digital nomads", qui peuvent rester jusqu'à trois mois s'ils sont entrés en Afrique du Sud avec un visa touristique.
"Les logements en location de longue durée ont été convertis en hébergements touristiques (...) faisant monter les loyers", estime Jens Horber.
Selon le projet Inside Airbnb, Le Cap compte plus de 26.870 annonces sur la plateforme, l'un des chiffres les plus élevés au monde, dépassant des villes comme Washington DC (États-Unis), Sydney (Australie), Chicago (États-Unis) et Hong Kong (Chine).
"Des entités similaires à des hôtels opèrent sans licences, sans restrictions ni limites dans des zones résidentielles", dénonce la chercheuse en urbanisme de l'Université du Witwatersrand, Sarita Pillay Gonzalez, qui appelle à une meilleure régulation.
Des villes comme Amsterdam (Pays-Bas), Barcelone et New York (États-Unis), par exemple, ont imposé des règles plus strictes à Airbnb, notamment des plafonds sur le nombre de jours loués par an.
- Tension sur le logement -
Chercheuse à l'Université canadienne de Waterloo, Cloé St-Hilaire estime que l'ensemble du Cap a perdu 1,5% de ses logements au profit d'Airbnb, la plupart étant concentrés dans quelques zones seulement de cette ville aux inégalités criantes.
Ce chiffre monte à 26% dans certaines parties de Sea Point, sur le littoral prisé des touristes pendant les vacances d'été de décembre, ajoute-t-elle.
Pour le responsable municipal Luthando Tyhalibongo, la "tension" sur le logement au Cap "n'est pas d'origine étrangère, ni due aux investisseurs, ni à Airbnb (...) Elle est liée à l'offre". La population du Cap a dépassé 4,7 millions d'habitants en 2022, selon le recensement, soit une hausse de près de 28% par rapport à 2011.
Le maire Geordin Hill-Lewis évoque une "migration nette d'environ 100.000 personnes provenant du reste de l'Afrique du Sud vers Le Cap rien qu'au cours des 36 derniers mois seulement", dans une tribune ce mois-ci au média Ground Up.
Le quartier historiquement ouvrier de Woodstock, à cinq kilomètres du touristique Waterfront, est une autre zone sous pression. Les jeunes générations qui y vivaient dans des maisons héritées de leurs parents les louent ou les vendent, d'après Shalner Ching, 45 ans, elle-même partie: "J'ai été contrainte de trouver un logement ailleurs."
D.Wolf--MP