

Les saumons sauvages de l’Allier menacés d'extinction par le changement climatique
Longtemps familier des eaux de l'Allier, le saumon sauvage se raréfie depuis quelques années et pourrait totalement disparaître de la Loire mais aussi dans plusieurs fleuves du monde en raison du changement climatique.
"Pour le saumon de la souche Loire-Allier", une sous-espèce du saumon sauvage de l'Atlantique, "le constat est sans appel: c'est la catastrophe ! Et si on ne fait rien, l'espèce, pourtant résistante, va tout simplement disparaître", alerte Aurore Baisez, directrice de Logrami, association de recherche sur les poissons migrateurs du bassin de la Loire.
En 2024, seuls 38 géniteurs ont atteint les frayères de l'Allier, principal affluent de la Loire, selon les comptages réalisés à Vichy. Cette année, à la fin de la migration printanière (mars à fin mai), ils sont 77.
Mieux, mais pas de quoi pavoiser: en 2015, près de 1.200 saumons adultes passaient à Vichy, en 2017 ils étaient seulement 754, et depuis c'est l'hécatombe: moins de 400 en 2019 et depuis 2023 la centaine n'a plus été franchie.
"Vu les taux de mortalité, à la fin de l'été on ne devrait pas en avoir plus de 40 qui survivent", s'alarme Mme Baisez.
- 30 degrés en été -
En 2024, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), collectif scientifique de référence, a classé la souche Loire-Allier en "danger d'extinction".
Pourtant, les mesures n'ont pas manqué pour préserver ce poisson qui fait figure d'élément patrimonial : interdiction de la pêche, aménagement du barrage EDF de Poutès, installation de "passes à poissons" aux endroits devenus infranchissables aux basses eaux, mise en place d'une nurserie à Chanteuges (Haute-Loire)…
Mais selon plusieurs experts, le fond du problème est ailleurs.
"Ce qui n'était qu'une menace sous-jacente est devenu le risque majeur pour la survie de l'espèce: le changement climatique", explique Mme Baisez, diplômée en écologie aquatique.
Le saumon, comme la plupart des poissons, est un animal ectotherme, c'est-à-dire que sa température interne est corrélée à celle de son milieu.
Or "sur la Loire, depuis quelques années, on atteint des températures complètement folles", note Mme Baisez.
Une récente étude du GIP Loire Estuaire, entité qui réunit collectivités et professionnels, montre qu'entre 2007 et 2023, la température moyenne annuelle de l'estuaire oscillait entre 13 et 16,5°C, mais avec de fortes variations saisonnières - les 20 à 25°C sont régulièrement dépassés entre juin et septembre - et de grands écarts entre l’amont et l’aval du fleuve.
"Sur Vichy, en été il n'est pas rare qu'on atteigne les 30 degrés. Et certaines années, comme en 2022, ces températures ont été atteintes dès le mois de mai", période où les saumons, déjà épuisés par 1.000 km de remontée depuis l'océan, tentent de rallier l'amont pour se reproduire.
Or selon les scientifiques, la température optimale pour l'espèce en période de migration se situe entre 9°C et 17°C. Au-dessus de 20°C, il cesse tout mouvement migratoire. Concernant sa survie, "au-delà des 25, ça devient vraiment compliqué et au-dessus de 27, c'est un vrai court-bouillon et c'est létal", souligne la directrice de Logrami.
- "Milieu de mort" -
A cela s'ajoute des débits de plus en faibles, voire critiques par endroits, en raison de l'évaporation liée à la chaleur.
"S'il n'y a quasiment plus d'eau et qu'en plus elle est chaude, le milieu de vie devient un milieu de mort", déclare Mme Baisez.
Et quand les températures ne tuent pas directement les saumons, elles les mettent en danger en anéantissant leurs proies ou en favorisant leurs prédateurs.
Ainsi le silure, redoutable tueur de saumons, prolifère dans les eaux supérieures à 20 degrés. Selon Logrami, en 2024, 1.283 silures ont été recensés sur le bassin de la Loire, soit le double des effectifs moyens des cinq dernières années.
Et la raréfaction des saumons sauvages n'est pas limitée à la Loire.
En Bretagne, ils sont de moins nombreux dans le Scorff et, plus loin, le Canada ou la Scandinavie font le même constat: les saumons migrateurs en provenance de l'Atlantique nord - dont les températures ont battu des records en 2023 et 2024 - sont de moins en moins nombreux à survivre à leur transhumance.
A.Fischer--MP