

En Irak, les agriculteurs confrontés à la hausse de la salinité de l'eau pour cause de sécheresse
Dans le sud de l'Irak, l'agricultrice Oum Ali est confrontée de plein fouet à la hausse en flèche de la salinité de l'eau douce, provoquée par la sécheresse: non seulement elle ne peut plus en boire, mais ses volailles se sont mises à mourir.
"Avant, nous buvions, nous nous lavions et nous cuisinions avec l'eau du fleuve, mais maintenant, elle nous cause du tort", explique la femme de 40 ans qui vit dans les marais asséchés d'Al-Mashab, dans la province de Bassora, à la pointe sud de l'Irak.
Ces dernières semaines, Oum Ali dit avoir perdu des dizaines de canards d'élevage et 15 poules en raison d'une eau devenue trop saumâtre. "J'ai pleuré et je souffrais, j'avais l'impression que tout mon travail avait été vain", confie cette veuve, mère de trois enfants.
Sous l'impact du changement climatique qui fait baisser les pluies et monter la température, l'Irak souffre depuis des années de sécheresse. La baisse des débits d'eau douce augmente les niveaux de concentration en sel et en polluants divers dans le sud du pays, historique Croissant fertile, où convergent les fleuves Tigre et Euphrate avant de se jeter dans le Golfe.
"Nous n'avons jamais observé de niveaux de salinité aussi élevés en 89 ans", affirme Khaled Shamal, porte-parole du ministère irakien de l'Eau.
Les niveaux de salinité mesurés le mois dernier dans la province de Bassora ont atteint 29.000 parties par million (ppm), contre 2.600 l'année dernière, détaille un rapport de son ministère.
A titre de comparaison, l'eau dite douce doit normalement contenir moins de 1.000 particules de sels dissous par million et l'eau de mer avoisine les 35.000 ppm. Autrement dit, l'eau des marais du sud de l'Irak tient davantage de l'eau de mer que de l'eau douce.
- "Plus d'eau" -
Pour Hassan al-Khateeb, expert à l'Université irakienne de Koufa (sud), l'Euphrate a enregistré ces dernières semaines son niveau en eau le plus bas depuis des décennies. Au point où le Chatt al-Arab, principal chenal du delta commun du Tigre et de l'Euphrate, n'arrive plus à retenir l'eau salée du Golfe.
Comme Oum Ali, Zoulaykha Hashem déplore que l'eau soit devenue très saumâtre dans la zone, et dit attendre une amélioration de la situation pour pouvoir irriguer ses grenadiers et figuiers.
"Nous ne pouvons même pas partir d'ici. Où irions-nous?", lance-t-elle, dans cette région irakienne où le secteur agricole emploie un quart des femmes, selon l'ONU.
En octobre 2024, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), recensait quelque 170.000 personnes déplacées dans le centre et le sud de l'Irak en raison de facteurs liés au climat.
Il y a plusieurs années, la pénurie d'eau avait déjà poussé Mariam Salman à quitter la province voisine de Missan pour Bassora, dans l'espoir que son buffle puisse profiter du Chatt al-Arab.
"Mais ici aussi, il n'y a plus d'eau", dit cette mère de trois enfants. Près de chez elle, l'AFP a vu trois squelettes de buffle sur la terre asséchée, tués, selon des habitants, par la pénurie d'eau.
- Pêches en berne -
Le Tigre et l'Euphrate prenant leur source en Turquie, les autorités irakiennes ont à plusieurs reprises imputé aux barrages situés de l'autre côté de la frontière la réduction significative de leur débit.
Les autorités irakiennes disent recevoir aujourd'hui moins de 35% de la part d'eau de ces deux fleuves allouée au pays, aux systèmes de gestion de l'eau défaillants après des décennies de guerre et de négligence.
Pour Hassan al-Khateeb, le gouvernement irakien doit non seulement réaffirmer ses droits sur ces eaux, mais intensifier les projets de désalinisation des eaux du Chatt al-Arab.
En juillet, le gouvernement a annoncé un projet visant à dessaler un million de mètres cubes d'eau par jour à Bassora, où les habitants se plaignent aussi de l'impact de la hausse de la salinité sur les pêches.
Hamdiyah Mehdi déplore que son mari, pêcheur, rentre beaucoup plus souvent bredouille en raison des "eaux troubles et salées" du Chatt al-Arab, ce qui affecte les finances, mais aussi l'humeur du foyer. "C'est vraiment difficile", dit-elle, "ces frustrations nous poussent à nous prendre les uns aux autres" dans la famille.
C.Maier--MP