

Migrations : un an après leur ouverture, les camps italiens en Albanie sont vides
Un an après l'ouverture en Albanie de camps censés accueillir les migrants arrêtés dans les eaux italiennes, les lieux sont presque vides, les conditions de vie y sont dénoncées par de nombreuses ONG et la justice italienne a annulé des dizaines de décisions d'expulsions.
Le 16 octobre 2024, en vertu d'un accord conclu entre Tirana et Rome, deux centres de rétention, gérés par Rome, ouvrent dans le port de Shengjin et dans le village de Gjader, dans le nord de l'Albanie. Le jour même, devant des dizaines de caméras, un premier navire de la marine italienne arrive avec à son bord 16 hommes originaires d'Égypte et du Bangladesh, arrêtés en mer alors qu'ils tentaient de rejoindre l'Union européenne.
Comme le prévoit l'accord, leur identité est d'abord vérifiée dans des préfabriqués bâtis sur le port, puis ils sont envoyés dans le camp de Gjader, où ils peuvent déposer une demande d'asile et en attendre la réponse.
Mais très vite, quatre d'entre eux sont identifiés comme "vulnérables" et renvoyés en Italie. 48 heures plus tard, la justice italienne invalide la rétention des 12 hommes restants, invoquant un désaccord entre l'UE et l'Italie, qui a établi une liste des pays d'origine "sûrs" de 22 pays dont certains ne le sont pas au regard du droit européen. Les 12 hommes repartent eux aussi.
Un an plus tard, la justice italienne a désavoué plusieurs fois l'application de l'accord, dont le bilan est loin des promesses du gouvernement, qui évoquait jusqu'à 3.000 migrants accueillis dans les camps.
Selon le juriste Gianfranco Schiavone, se fondant sur un rapport d'ONG italiennes, 132 personnes ont été emmenées dans les centres albanais, dont 32 ont été rapatriées après des décisions de la justice italienne. "Comme on peut le constater, l'échec est déconcertant", assène-t-il.
"La situation est très préoccupante en raison de l'extrême difficulté pour les personnes détenues d'exercer leurs droits fondamentaux en général", alerte M. Schiavone, évoquant, toujours selon le rapport "Blessures aux frontières" rédigé par plusieurs ONG italiennes, "21 cas d'automutilation et de tentatives de suicides par au moins neuf détenues".
Savoir ce qui se passe précisément derrière les grilles est presque impossible : les autorités albanaises se refusent à tout commentaire, renvoyant vers les Italiens.
Interrogé par l'AFP pour savoir combien de personnes se trouvent dans les camps, quelles sont leurs conditions de vie et quel est l'avenir de ces installations, le ministère italien de l'Intérieur a expliqué que le ministre avait "répondu à plusieurs reprises sur ces points".
- CPR -
Face à cet échec, l'Italie voudrait transformer ces camps en centres de rétention pour migrants en situation irrégulière (CPR). Une évolution qui risquerait d'être retoquée par la justice européenne, estime M. Schiavone.
"L'échec du protocole signé avec l'Albanie a poussé le gouvernement (italien) à le transformer en autre chose qui - comme l'a déjà réaffirmé la magistrature italienne - contredit la directive européenne sur les retours : à savoir qu'il n'est en aucun cas prévu que la détention administrative d'étrangers en attente d'expulsion en Italie puisse être effectuée sans un pays non membre de l'Union européenne", explique-t-il.
Quelque chose qui pourrait évoluer dans quelques mois si le "règlement retour", actuellement en débat au Parlement européen, est adopté : il ouvrirait la voie à la création de centres pour migrants en dehors des frontières de l'UE.
Arrivée au pouvoir en 2022, la Première ministre italienne Giorgia Meloni, cheffe du parti post-fasciste Fratelli d'Italia (FDI) qui a fait de la lutte contre l'immigration l'un des piliers de sa communication, espère "obtenir ce qu'elle n'a pas obtenu du pacte (avec l'Albanie), en particulier la possibilité de recourir à des expulsions expéditives", analyse Filippo Furri, de l'ONG ARCI.
"L'espoir est que ces pratiques soient jugées illégales, ou économiquement insoutenables, et que l'UE revoit son approche", ajoute cet anthropologue.
Mais le risque pour les migrants est que "cette expérimentation italienne se propage à d'autres pays".
En visite en Albanie au printemps, le Premier ministre britannique Keir Starmer avait évoqué son souhait de créer des "hubs de retour".
Edi rama, son homologue albanais, avait alors été très clair : "Le modèle que nous avons apporté en Albanie en coopération avec l'Italie (...) est un modèle qui prend du temps pour être testé. S'il fonctionne, il pourra être reproduit. Mais pas en Albanie, dans d'autres pays de la région".
C.Maier--MP